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Comment le droit costaricain permet les « unions inappropriées »

Catégorie(s): Droits des enfants, Coopération volontaire, Costa Rica, 2016

L’auteure, Justine St-Jacques, est conseillère juridique volontaire déployée au Costa Rica auprès de la Fundación Paniamor dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada accordé par l'entremise d'Affaires mondiales Canada.

Second blogue de la série « unions inappropriées »

L’expression « unions inappropriées »


L’expression « unions inappropriées » apparaît pour la première fois en 2014 dans le rapport du Fonds des Nations Unies pour les populations « Uniones impropias, niñas madres y embarazo en la adolescencia en Costa Rica » (unions inappropriées, filles-mères et grossesse à l’adolescence au Costa Rica)1. Dans ce rapport, les « unions inappropriées » désignent les relations conjugales (mariages ou unions libres) entre une personne mineure et un adulte ayant au moins 5 ans de plus que la personne mineure. Il s’agit de l’expression consacrée au Costa Rica pour désigner le phénomène de mariage d’enfants ou de mariage précoce dont parle la communauté internationale. L’expression exclut définitivement les relations entre personnes mineures, considérées comme relations entre égaux.

La « permission » du droit costaricain


La norme juridique applicable à la question des « unions inappropriées » est certainement l’âge légal pour consentir au mariage, mais aussi l’âge du consentement sexuel, car la plupart des « unions inappropriées » ayant cours au Costa Rica ne sont pas des mariages formels, mais bien des unions libres2 . En effet, pour chaque mariage où l’un des époux est une personne mineure, il existe 7 relations en union libre où l’un des membres du couple a moins de 18 ans.

L’âge minimum légal pour le consentement au mariage au Costa Rica est de 15 ans. En effet, en vertu du Code de la Famille costaricain, le mariage de personnes de 15 à 17 ans est possible avec le consentement des parents3. De surcroît, le droit costaricain prévoit une « union de fait » semblable au « common law marriage » de nos voisins canadiens et américains, c’est-à-dire un type d’union sans célébration, ni contrat, créé par le simple fait d’avoir une vie commune durant trois ans. L’« union de fait » costaricaine emporte des conséquences juridiques et économiques comme la pension alimentaire entre époux4. Comme les adolescents de 15 à 17 ans peuvent contracter mariage, leur relation conjugale entre dans le calcul du délai de trois ans pour être en « union de fait ».

L’âge du consentement sexuel sans limitation est fixé à 15 ans au Costa Rica. En ce qui concerne les adolescents de 13 et 14 ans, le fait pour un adulte d’avoir des relations sexuelles avec une personne de cet âge pourrait être un délit si les Procureurs de la République arrivent à démontrer que l’adulte ‘’a profité’’ de l’âge de la victime. Évidemment, cet élément subjectif étant difficile à prouver, cela revient à dire que, le plus souvent, l’âge du consentement sexuel au Costa Rica est de 13 ans5. Enfin, le fait pour un adulte d’avoir des relations sexuelles avec une personne de moins de 13 ans est considéré comme un « viol statutaire »6.


Le contexte social et institutionnel


La situation n’est pas si différente de chez nous penserez-vous : le droit canadien prévoit un âge du consentement sexuel illimité dès 16 ans7 et l’âge minimum du consentement au mariage est de 16 ans8. Où est donc la différence?


La différence se trouve dans le contexte social et institutionnel.


L’ONG ECPAT International nous indique qu’en Amérique Latine et dans les Caraïbes, les principales motivations pour un homme adulte de cohabiter avec une adolescente au début de la puberté sont les suivantes : les jeunes adolescentes sont perçues comme physiquement et sexuellement plus attirantes et plus faciles à contrôler que les femmes adultes et avoir des relations sexuelles avec des jeunes filles diminue les risques d’infections transmises sexuellement9 .


Pour les jeunes filles et leurs familles, l’élément déclencheur est souvent l’espoir d’obtenir une protection sociale et une sécurité économique. Les « unions inappropriées » sont aussi une manière de faire face à des grossesses non-désirées et de protéger la réputation de la famille.


Bref, les « unions inappropriées » bénéficient d’un certain niveau de normalisation sociale au Costa Rica, ce qui n’est pas le cas chez nous.


Sur le plan institutionnel, comme l’âge du consentement sexuel sans limite et l’âge minimum du consentement au mariage est de 15 ans, les institutions publiques ne se sentent pas l’autorité légale d’intervenir dans des relations entre des personnes mineures de 15 à 17 ans et des personnes adultes, et ce, même si la famille porte plainte au Patronato Nacional de la Infancia (PANI), l’équivalent costaricain du Directeur de la Protection de la Jeunesse.


À plus d’une reprise, il est arrivé à Paniamor de recevoir des appels de familles éplorées que leur jeune fille mineure ait fugué avec un homme adulte de plusieurs années son ainé et craignant pour la sécurité de la jeune fille. Ces familles s’adressent à Paniamor dans l’espoir que l’organisation puisse influencer les autorités à agir. Malheureusement, ni la police ni le PANI ne se sentent l’autorité pour agir alors que ces jeunes filles ont l’âge du consentement.


En février dernier, dans un contexte similaire, plusieurs jeunes filles de 16 ans ont fugué du Centre jeunesse de Laval pour rejoindre leur « chum » de plusieurs années leur aîné. Or, chez nous, l’histoire a fait les manchettes et a suscité un débat sur les mesures de sécurité à adopter dans les centres jeunesses10.


En somme, il est évident que sans un changement de marqueur légal, la situation des jeunes filles au Costa Rica ne peut s’améliorer.


À lire dans le troisième blogue de la série les « unions inappropriées » : Le projet de loi qui vise à remédier à la situation des « unions inappropriées » et les efforts de plaidoyer pour le faire approuver par l’Assemblée législative.


Voir le blogue précédent de la série:

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1 Alejandra González Gómez, Milena Grillo Rivera et al., Uniones impropias, niñas madres y embarazo en la adolescencia en Costa Rica, Pulication du Fond des Nations Unies pour la population, Costa Rica, 2014.
2 Idem., p.10, tableau 1.
3 Article 15 alinéa 3 et article 16 alinéa 1 du Code de la Famille du Costa Rica (Loi No. 5476).
4 Idem., article 242.
5 Article 159, Code Pénal du Costa Rica (Loi No. 4573).
6 Idem., article 156.
7 Article 151.1 (1), C.cr., LRC 1985 C. C-46.
8 Article 2.2, Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, c. 33.
9 ECPAT International & Plan International, Rapport thématique: Unrecognised Sexual Abuse and Exploitation of Children in Child, Early and Forced Marriage, Bangkok, 2015, p. 39, par. 2.
10 Voir l’article suivant : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2016/02/04/002-disparition-jeunes-filles-centre-jeunesse-laval-reactions-politiques.shtml.