Seminaire ASFC sur les standards internationaux de protection des défenseurs des droits humains au Guatemala
Catégorie(s): Human rights, Groups in situations of vulnerability, Guatemala, 2017
Alima Racine est conseillère juridique volontaire déployée au Guatemala dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada. Elle agit au sein du Centre pour l’Action Légale en Droits Humains (CALDH), organisation guatémaltèque de défense des droits humains.
Photo : ASFC
En marge des sessions de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme, qui se sont tenues de manière exceptionnelle du 20 au 27 mars 2017 dans la capitale guatémaltèque, Avocats sans frontières Canada (ASFC) a organisé le 23 mars 2017 un forum portant sur les normes internationales en matière de protection des défenseurs des droits humains en partenariat avec Impunity Watch (IW).
Le Guatemala est un de ces pays où il ne fait pas bon vivre pour un défenseur des droits humains en raison du harcèlement judiciaire dont plusieurs d’entre eux font l’objet. En effet, nombre de ces défenseurs sont victimes de campagnes de diffamation, de menaces, d’actions judiciaires intentées à leur encontre, voire pire encore, d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, ou d’autres formes d’agressions physiques. Ce phénomène néfaste pour la démocratie se voit accentué en raison de l’impunité dont jouissent les auteurs de ces violations.
C’est pour réfléchir à la meilleure façon de faire face à cette persécution multiforme que ce forum a été organisé. L’objectif était de présenter les normes internationales applicables en la matière afin que la politique de protection des défenseurs des droits humains, qui sera mise en œuvre au Guatemala, soit conforme.
Photo : ASFC
La représentante du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme (HCDH) au Guatemala, Mme Liliana Valina, a ouvert le forum en insistant sur la nécessité d'une réglementation dans ce domaine, compte tenu des risques et des menaces encourus par les défenseurs des droits humains sur une base quotidienne et régulière. Elle a rappelé l’importance du travail des défenseurs des droits de l’Homme, surtout dans un pays comme le Guatemala dans lequel les violations aux droits humains sont courantes et l’impunité presque totale. Elle a aussi souligné que le rôle du HCDH au Guatemala est d’appuyer le travail crucial des défenseurs des droits humains et de sensibiliser la société civile et l’État guatémaltèques au rôle primordial qu’ils jouent. Selon elle, ces derniers contribuent à construire une société plus juste où la discrimination et le racisme n’ont pas leur place.
Elle a été précédée à la tribune par M. Victor Hugo Godoy, président de la Commission présidentielle coordonnatrice de la politique de l’exécutif en matière de droits humains au Guatemala (COPREDEH). Le président du COPREDEH a centré son message sur l’importance du travail des défenseurs des droits humains, surtout dans une société marquée par la guerre civile, comme le Guatemala. Pour lui, le thème des droits humains est à l’origine des divisions pendant la guerre civile, et il doit aujourd’hui être un thème rassembleur autour duquel tous les Guatémaltèques pourront, en tant que société, s’unir pour fonder créer les conditions d’une vie meilleure. Il s'est engagé à finaliser au courant de l’année 2017 une politique publique comportant des volets législatif, institutionnel et judiciaire en vue d’une protection optimale des défenseurs des droits humains.
Photo : ASFC
Par la suite, un panel composé de quatre experts s’est penché sur la situation de la protection des défenseurs des droits humains au Guatemala et les standards internationaux et régionaux applicables.
D’abord, M. Jorge Santos de l’Unité de protection des défenseures et défenseurs de droits humains, Guatemala (UDEFEGUA) a axé son intervention sur la décision de la CourIDH du 28 août 2014 concernant les défenseurs des droits humains (1). Il estime que cette affaire représente un cas emblématique du travail des défenseurs des droits humains dans le pays et implique un défi énorme pour l’État guatémaltèque. Dans cette affaire, la Cour réaffirmait sa jurisprudence concernant les défenseurs des droits et insistait sur le fait que l’obligation des États de garantir les droits à la vie et à l’intégrité de la personne doit être renforcée lorsqu’il s’agit de défenseurs des droits et que les mesures adoptées doivent être adéquates, c’est-à-dire appropriées et efficaces. En l’espèce, l’État guatémaltèque n’a pas respecté son obligation de garantir les droits liés à l’intégrité de la personne (2), ni les droits de circulation et de résidence (3) de la défenseure des droits et de sa famille. Selon la Cour, l’Etat guatémaltèque n’a pas adopté les mesures adéquates et effectives pour assurer la protection de la victime et sa famille et vérifier l’importance du danger auquel tous étaient exposés.
Photo : ASFC
M. Santos est d’avis que le Guatemala n’a pas respecté toutes les recommandations de la Cour dans cette affaire en l’espèce quant à l’obligation d’enquêter sur les violations alléguées des droits des défenseurs, de juger et de sanctionner les responsables, de restituer, de réhabiliter les victimes, de garantir la non répétition desdites violations, ainsi que l’indemnisation des victimes pour les dommages subis. Pour lui, il est urgent de mettre en place une politique publique de protection des défenseurs des droits humains qui prenne en compte les recommandations de la Cour. En l’espèce, il s’agira d’une politique publique de protection qui serait fondée sur une consultation des défenseurs des droits humains, de montrer l’importance du travail des défenseurs des droits humains dans le pays et de mettre en place un programme de protection et un modèle d’analyse des risques qui soit intégral. Il a terminé par souligner qu’il espère que la politique publique au Guatemala soit construite dans le but de garantir le droit à la vie pour tout un chacun.
Photo : ASFC
Par la suite, Me Edgar Perez du Bureau des droits humains (BDH) a pris la parole en commençant par dénoncer l’usage du droit pénal pour criminaliser le travail les défenseurs des droits, en particulier les défenseurs communautaires des droits territoriaux. Il a expliqué que compte tenu de la criminalisation sans cause dont ils font l’objet, le travail des défenseurs des droits humains au Guatemala les converti en « criminels à hauts risques ». Il a donné comme exemple les dossiers de criminalisation du Nord Huehuetenango (4) et de celui de la Puya (5). Dans l’affaire de la Puya, il a expliqué que la criminalisation s’est étendue non seulement aux défenseurs des droits humains, mais aussi aux procureurs qui les représentent dans ce dossier. Il a souligné qu’au final, le juge du procès a déclaré les défenseurs coupables des crimes dont ils étaient accusés, et n’a pas manqué de dénoncer le caractère illégal de cette sentence. En effet, les accusés faisaient l’objet d’une accusation collective ; ce qui est contraire aux principes de droit pénal qui exige que toute accusation pénale soit portée de façon personnelle. Ce qui fait que Me Perez considère cette sentence fondamentalement entachée de vices de procédures. Concernant le dossier de criminalisation du Nord Huehuetenango qui impliquait sept leaders communautaires, défenseurs des droits de leur territoire, Me Perez a dénoncé non seulement le fait que les sept accusés ont fait de la prison préventive pendant plus de 16 mois, mais aussi que les chefs d’accusation portés contre eux l’étaient uniquement dans le but de les maintenir en prison préventive. Ce n’est que des mois plus tard et devant un tribunal impartial que les sept accusés ont pu recouvrer la liberté. Pour finir, il a lu un extrait de la décision du dossier de criminalisation dans laquelle la juge Yasmine Barrios avait déclaré : « Je sais qu’il fait déjà nuit, mais le soleil de la justice a commencé à pointer sur notre pays» (7).
Photo : ASFC
Me Philippe Tremblay d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) a été le troisième panéliste à prendre la parole. Il a axé son intervention sur les standards internationaux que l’État pourrait adopter pour mettre en place une politique publique de protection des défenseurs des droits humains. Il a aussi évoqué les normes internationales en matière de protection des droits humains et expliqué comment ces normes pourraient être adaptées à la situation guatémaltèque. Il a rappelé dans ce cadre certains principes phares de la déclaration de l’ONU sur la protection des défenseurs des droits humains, qui s’applique aussi à l’Etat guatémaltèque. Tout en prenant le soin de préciser le caractère non obligatoire de cet instrument en droit international et le fait qu’il n’énonce pas de droits nouveaux, il a mis en avant son importance. Il a fait état du travail abattu par le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits humains qui invite les États à ébaucher des programmes de protection destinés à cette population en situation de vulnérabilité. Selon Me Tremblay, il est possible de s’inspirer de certains principes de base appliqués ailleurs, mais il a mis en garde l’assistance à propos de l’idée de vouloir transposer un modèle étranger à la situation guatémaltèque. Il a aussi évoqué la loi-modèle de protection des défenseurs élaborée au terme d’un large processus de consultation piloté par le Service pour les droits humains situé à Genève, en invitant les décideurs guatémaltèques à s’en inspirer. Il a aussi affirmé que même s’il n’est pas possible de déduire une obligation de l’État pour mettre en place un programme de protection des droits humains, il n’empêche que la situation actuelle au Guatemala pourrait justifier la mise en place d’un tel programme. De plus, selon Me Tremblay, l’analyse des risques ne doit pas seulement se limiter aux défenseurs des droits humains, mais aussi s’étendre aux membres de la famille du défenseur. De même, il serait pertinent au moment d’analyser les risques, de faire une évaluation collective qui peut être pertinente surtout dans le cas des leaders communautaires.
Photo : ASFC
Me Marcia Aguiluz du Centre pour la justice et le droit international (CEJIL) s’est attardée sur la question des standards applicables du système interaméricain en matière de protection des droits humains et comment il serait possible de mettre en place un tel système adapté à la réalité guatémaltèque. Pour ce faire, elle a commencé par définir ce qu’elle entend par politique publique. Elle a souligné que les standards en matière de politiques publiques sont beaucoup plus exigeants que ceux d’un simple programme de protection. Elle a mentionné certaines obligations générales de l’État en vertu de la Convention américaine des droits humains. Elle a parlé notamment de l’obligation de l’État de garantir et de respecter le travail des défenseurs des droits humains, ce qui signifie aussi l’obligation de prévenir les attaques contre eux, d’enquêter sur ces attaques, desanctionner et de punir les auteurs. Elle a aussi rappelé les obligations des Etats comme il en découle de la jurisprudence de la CourIDH. Ce qui signifie selon elle, l’obligation de garantir les droits à la libre association, l’accès à l’information, le droit à la protestation sociale et la limite à l’usage excessif de la force. Toutefois, selon Me Aguiluz, cela ne peut se concrétiser si les défenseurs des droits humains font l’objet de stigmatisation et de criminalisation. Une politique publique devrait donc à son sens promouvoir une culture de droits humains. Elle a également dénoncé le fait qu’au Guatemala la législation est rédigée de façon vague. Par conséquent, cela a permis et permet encore aujourd’hui, son utilisation perverse à des fins de criminalisation des défenseurs des droits humains. Elle a aussi mentionné le climat d’impunité générale qui règne au Guatemala, surtout quand il s’agit d’attaques ou de violations à l’encontre des défenseurs des droits humains.
Me Alejandro Rodriguez, modérateur du panel, en a aussi profité pour souligner que tout individu a le droit de défendre ses propres droits et ceux des autres s’il le souhaite et qu’aucun État ne peut éteindre ce droit.
Photo : ASFC
Finalement, Bastiaan Engelhard du Conseil politique de la délégation de l’Union européenne au Guatemala a eu l’honneur de clore le forum. Il a souligné que la coopération entre l’Union européenne, le Canada et le Guatemala est basée sur le respect des traités et la protection des droits humains. Il a rappelé l’importance des droits humains pour l’Union européenne et le Canada et a insisté sur le fait que l’Union européenne et le Canada travaillent avec d’autres gouvernements, la société civile, les organisations internationales et le secteur privé pour renforcer les règles internationales qui protègent les droits humains universels. Cet engagement international signifie également d’apporter un appui aux défenseurs des droits de l’Homme.
Ce forum auquel ont pris part des experts nationaux et internationaux a été l’occasion pour les panélistes de divers horizons de poser la question de la protection des défenseurs des droits humains au Guatemala et d’analyser les standards internationaux en la matière. Il est à espérer que ce forum portera ses fruits et que dans un avenir très proche, une politique publique de protection digne de ce nom verra le jour afin de garantir une protection adéquate et efficace aux défenseurs des droits humains qui œuvrent au Guatemala.
(1) CourIDH, 28 août 2014, Defenseurs des droits humains et al. c. Guatemala, Objections Preliminaires, Merites, Reparations et Couts, Series C No. 283.
(2) Article 5.1 de la Convention américaine.
(3) Article 22.1 de la Convention américaine.
(4) Affaire Barillas, sentence du Tribunal de première instance pénale dictée le 22 julliet 2016 dans laquelle le Tribunal a acquitté à l’unanimité Francisco Juan Pedro, Arturo Pablo Juan, Sotero Adalberto Villatoro Hernández, Maynor López et Domingo Baltazar de tous les chefs d’accusation pesant contre eux, ordonnant ainsi leur remise en liberté immédiate.
(5) Affaire de la Puya dans laquelle le 30 avril 2014, le juge Felix Garcia, juge de première instance en charge du dossier prononcait une sentence condamnatoire à l’encontre des defenseurs des droits humains Alonzo de Jesus Torres Torres Catalan, Valerio Carrillo Sandoval et Jorge Adalberto Lopez Reyes, tous membres de la Resistance de la Puya.
(6) Page 5 du voto razonado de la juge Yassmin Barrios Aguillar en lien à la sentence dictee le 22 julliet 2016.