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Le 8 mars 2017 brûlaient 56 jeunes filles au Guatemala (deuxième partie)

Catégorie(s): Emblematic cases, Voluntary cooperation, Guatemala, 2018

Par Laura Bosse, conseillère juridique volontaire au sein du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables. Ce projet est mené par Avocats sans frontières Canada (ASFC) en consortium avec le Bureau international des droits des enfants (IBCR). Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

Piñatas à l’effigie des victimes, 8 mars 2018

Le 8 mars 2017, un incendie à coûté la vie à 41 jeunes filles dans le centre de protection de la jeunesse Hogar Seguro Virgen de la Asunción. À la suite du drame, une enquête a été ouverte et plusieurs fonctionnaires et membres des forces de police ont été arrêtés. Voici un panorama des avancées dans ce dossier.

Les premières arrestations

Rapidement après le drame, le ministère public a procédé à l´arrestation de trois hauts fonctionnaires publics qui ont été accusés de maltraitance sur mineur, d’homicide involontaire, d’abus d´autorité, de manquement au devoir public et d’inflictions de lésions corporelles. Il s’agit de:

  • Anahy Keller Zabala, ancienne productrice de télévision et amie de l´actuel président de la République, Jimmy Morales, qui occupait au moment de la tragédie le poste de secrétaire adjointe en matière de protection de l´enfance au sein de la Secrétariat du Bien-être social de la présidence de la République
  • Carlos Antonio Rodas Mejía, chargé du Secrétariat du Bien-être social de la présidence de la République
  • Santos Torres Ramírez, directeur du centre Hogar Seguro Virgen de la Asunción

On leur reproche principalement de ne pas être intervenus pour prévenir la catastrophe et d'avoir par leur négligence entraîné la mort de 41 jeunes filles. Ils sont actuellement en détention provisoire et attendent leur procès. Celui-ci devait s'ouvrir le 9 août 2018, mais la date a été repoussée il y a peu au motif que l'organisme judiciaire est surchargé de travail. Leur procès se tiendra finalement au mois de février 2019.

Après la tragédie qui s´est déroulée le 8 mars 2017 dans le Centre de protection de la jeunesse, Hogar Seguro Virgen de la Asunción et dans lequel 41 jeunes filles ont péri (mettre hypertexte du 1erarticle), une enquête a été ouverte et plusieurs fonctionnaires et membres des forces de police ont été arrêtés.

Le deuxième groupe d´accusés

À la suite des premières arrestations, l´enquête menée par le ministère public a continué et c'est ainsi que dans les mois qui ont suivi, cinq autres fonctionnaires et membres des forces de police ont été arrêtés et des accusations ont été portées :

  • Harold Augusto Flores Valenzuela, procureur en chef de l'enfance et de l´adolescence pour le Procureur général de la nation a été accusé de maltraitance sur mineur, de manquement au devoir public et d´homicide involontaire. Il lui est reproché de ne pas être intervenu pour protéger l'intégrité physique des adolescentes et d'avoir, en accord avec les autres fonctionnaires, autorisé l'enfermement des adolescentes dans une salle de classe, négligence qui a entraîné la mort de 41 d´entre elles. Malgré les accusations qui pèsent contre lui, celui-ci occupe toujours son poste de procureur.
  • Luis Armando Pérez Borja, sous-commissaire de la Police nationale civile, a été accusé d'abus d'autorité et de maltraitance sur mineur. Il lui est reproché d'avoir accepté que la Police nationale soit en charge de la garde des adolescentes dans les enceintes du centre Hogar Seguro et de ne pas avoir empêché les forces policières sous son commandement d'utiliser une force excessive contre ces dernières. Il est actuellement en détention provisoire.
  • Brenda Julissa Chamam Pacay, cheffe du département contre la maltraitance de l'Hogar Seguro, a été accusée d'homicide involontaire, de maltraitance sur mineur et de manquement au devoir public. Il lui est reproché de ne pas être intervenue lorsque la police a retenu pendant plus de 9 heures les adolescentes à l'extérieur du centre en utilisant la force de manière excessive et d´avoir, conjointement avec les autres fonctionnaires, autorisé l'enfermement des adolescentes dans une salle de classe, négligence qui a entraîné la mort de 41 d'entre elles.
  • Lucinda Eva Marina Marroquin Carrillo, sous-inspectrice de la Police nationale civile a été accusée de maltraitance sur mineur et d´homicide involontaire. Il lui est reproché d'avoir attendu neuf minutes après le début de l'incendie pour ouvrir la porte de la salle de classe dans laquelle étaient enfermées les jeunes filles alors qu'elle était en possession de la clef. Elle est actuellement en détention provisoire.
  • Gloria Patricia Castro Gutierrez, chargée de la protection de l'enfance au sein de l'Ombudsman des droits de la personne, a été accusée de maltraitance sur mineur et de manquement au devoir public. Il lui est reproché de ne pas être intervenue pour protéger l'intégrité physique des adolescentes alors que la police a utilisé la force de manière excessive contre ces dernières et cela, en violation de ses obligations comme garante des droits de la jeunesse.

Début juin, lors des audiences de l'étape intermédiaire de ce groupe, une demande de récusation a été présentée contre le juge au dossier. Celle-ci a été rejetée en août mais entraîne des délais supplémentaires pour l'avancement du dossier puisque toutes les audiences ont été suspendues pendant l'étude de cette demande et doivent à présent être reprogrammées.

Cérémonie du 8 mars 2018, sur la banderole « Ce n´était pas le feu, c´est un fémicide de l´État »

De nouvelles inculpations

Quatre nouveaux accusés devraient comparaitre durant l'été 2018. S'il existe des preuves suffisantes contre ces derniers, il est possible qu'un troisième groupe soit amené à procès dans ce dossier. Il s'agit de :

  • Rocio Albany Murillo Martinez, juge de paix de San José Pinula. La loi guatémaltèque prévoit qu'une personne illégalement détenue doit être déférée devant un juge et que cela peut se faire sur le lieu de détention[1]. Le 7 mars 2017, le Procureur des droits humains, lorsqu'il a été mis au courant que des adolescents du centre Hogar Seguro étaient détenus par les forces de police, a présenté une demande judiciaire pour que le juge de paix du même district se présente sur les lieux, cela afin de s'assurer que les adolescents n'étaient pas détenus illégalement. À la suite de cette demande, Mme Murillo aurait dû se présenter le jour même au centre Hogar Seguro, mais elle est accusée de ne pas avoir exécuté cette diligence à temps et d'avoir, par suite de ce manquement, rédigé un faux rapport.
  • Romeo Miranda Navarro, secrétaire du tribunal de paix de San José Pinula, est accusé de fausseté idéologique, ce qui correspond à l'infraction de prévarication en droit canadien[2].
  • Crucy Flor de María López, monitrice d'un centre juvénile pour femmes, est accusée de maltraitance sur mineur et d'abus d'autorité pour avoir aspergé de gaz au poivre certains adolescent.es détenus par les forces de police à l'extérieur du centre Hogar Seguro.
  • Ofelia María Pérez Campos, coordinatrice du foyer pour adolescentes de 13 à 18 ans (Mi Hogar), est accusée de maltraitance sur mineur et d'homicide involontaire. Arrêtée une première fois il y a quelques mois, le juge avait déterminé à l'époque qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve contre cette dernière pour porter des accusations. En effet, le juge avait déterminé qu'elle n'avait aucune responsabilité dans ces événements tragiques car elle était officiellement en « congés » pendant les événements bien qu'elle avait été appelée pour revenir au centre après le début de la révolte.

La plainte pour torture

Depuis le début de l'enquête, l’organisation de défense des droits des femmes Mujeres Transformando el Mundo, partie civile au dossier, dénonce la torture et les mauvais traitements dont ont été victimes les adolescent.es institutionnalisé.es dans ce centre. Devant le refus du ministère public de porter des accusations allant dans ce sens, Mujeres Transformando el Mundo a déposé une plainte de torture contre les huit accusés au mois d´août 2017 afin qu'une investigation impartiale soit menée. Cette plainte plus large que les présentes accusations ne porte pas uniquement sur les faits survenus les 7 et 8 mars 2017. En effet, en plus de ces événements tragiques, elle fait également état des traitements cruels et dégradants subis par les adolescent.es dans les années qui ont précédé l'incendie.

Ainsi, elle fait état des nombreux abus contre l'intégrité physique et sexuelle des adolescent.es lors de leur institutionnalisation dans ce centre de protection. Elle décrit également la longue détention des adolescent.es aux mains des forces de police la nuit du 7 mars, la force excessive exercée par ces dernières, les conditions épouvantables d'enfermement dans la minuscule salle de classe et les minutes d'agonie qui ont suivi le déclenchement de l'incendie.

Pour le moment, malgré les réticences du ministère public à reconnaître qu'un crime d'État ait pu être commis, celui-ci n'a pas rejeté la plainte et une enquête préliminaire a été entamée. Deux organisations de la société civile, le Centro para la acción legal en derechos humanos (CALDH) et la Alianza, se sont également jointes à Mujeres Transformando el Mundo dans cette quête de justice.

Dans l'opinion publique, des voix s'élèvent dans le même sens, ainsi une journaliste du journal d'investigation Nomada a publié le 8 mars dernier un récit des traitements cruels subis par les adolescent.es au sein de l'Hogar Seguro. Malgré la lenteur du ministère public à investiguer cette plainte, on ne peut qu'espérer que l'enquête aboutira et permettra de faire la lumière sur ces évènements.

Banderole « Les filles du Guatemala, nous exigeons la justice », 8 mars 2018

Un dossier emblématique

Ce drame met en lumière les conditions de vie effroyables que sont celles des enfants et des adolescents institutionnalisés au Guatemala et la défaillance du système de protection de la jeunesse. Le dossier Hogar Seguro Virgen de la Asunción n'est pas un cas isolé, il révèle la négligence systématique, les mauvais traitements et les mauvaises pratiques des institutions étatiques en charge de protéger la jeunesse et les terribles conséquences que cela engendre.

Une condamnation dans un tel dossier lancerait donc un message fort à tous les fonctionnaires publics qui ont, de par leur mandat, la responsabilité de protéger ces enfants et adolescents et de respecter la législation nationale, mais également internationale, en matière de droit de l'enfance. Cela établirait un précédent qui devrait avoir pour effet de changer les comportements à l'égard des plus vulnérables. L'État se verrait obligé de réparer le tort qui a été causé et de prendre certaines mesures comme garantie de non répétition. On peut ainsi espérer que l'État guatémaltèque, qui n'a jusqu'à maintenant entrepris aucune révision ni réforme du modèle de protection de la jeunesse, amorcera une telle réforme qui permettra de prévenir efficacement les abus et la maltraitance.

On peut même rêver un peu plus grand et espérer que ce dossier permettra de revoir, de manière plus large, les pratiques dans l'ensemble des institutions étatiques qui ont pour mission de protéger le public et de le soigner (par exemple les centres d'accueil pour personnes souffrant de maladies mentales) afin que la dignité des populations les plus vulnérables soit toujours protégée et respectée.


[1] Articles 82 et 96, Ley de amparo, exhibición personal y de constitucionalidad

[2] Est coupable de prévarication le fonctionnaire qui, étant chargé de l´exécution d´un acte judiciaire, volontairement, présente un faux rapport relativement à cet acte (voir art. 128(b) c. cr et art. 322 du code pénal guatémaltèque)


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