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Audience de la CourIDH : Peuple autochtone Xucuru et ses membres c. Brésil

Catégorie(s): Human rights, Indigenous peoples, Guatemala, 2017

Les auteurs, Alexandra Billet et Hubert Guay, sont conseillers juridiques volontaires déployés au Guatemala dans le cadre du projet «Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables» mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l'appui financier du gouvernement du Canada.

Le 21 mars 2017, durant la deuxième journée de la 57e période extraordinaire de sessions de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (CourIDH), s’est tenue une audience publique dans une affaire opposant la communauté autochtone Xucuru à l’État du Brésil. Le conflit porte sur les droits à la propriété collective des peuples autochtones et sur le non respect de l'article 21 de la Convention américaine relative aux droits de l'Homme (droit à la propriété privée). Sur le banc de la CourIDH ont siégé les six juges suivants (1): Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot (Mexique) vice-président, Eduardo Vio Grossi (Chili), Humberto Antonio Sierra Porto (Colombie), Elizabeth Odio-Benito (Costa Rica), Eugenio Raúl Zaffaroni (Argentine) et L. Patricio Pazmiño Freire (Équateur). Au cours de l'audience un expert et un témoin de l'État ont été entendus. Les parties et la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) ont par ailleurs présenté leurs plaidoiries.

Antécédents

En 1989, l’État du Brésil a mis sur pied un processus administratif afin de délimiter les territoires autochtones et notamment celui du peuple autochtone Xucuru après de nombreuses années de revendication. Face à des retards administratifs déraisonnables et à l’inefficacité de la justice nationale, plusieurs organisations brésiliennes de défense des droits humains se sont unies pour soumettre une pétition à la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH) le 16 octobre 2002. Le 29 octobre 2002, cette dernière a accordé des mesures de protection provisoires en faveur du chef de la communauté Xucuru, Marcos Luidson de Araújo, et de sa femme Zenilda Maria de Araújo, victimes de nombreuses menaces de mort en raison de leurs revendications liées au processus de délimitation du territoire. Dans son rapport final, la CIDH a conclu à la violation de l’article XXIII de la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l’Homme et à la violation des articles 5, 8.1, 21 et 25.1 de la Convention américaine relative aux droits de l'Homme (CADH) à partir du 25 septembre 1992, date à laquelle le Brésil a ratifié cette dernière Convention. Le 16 mars 2016, la CIDH a soumis l’affaire à la compétence contentieuse de la CourIDH.


Violations alléguées devant la CourIDH et arguments des parties

Les violations alléguées à la CADH sont de deux ordres. Dans un premier temps, les membres de la communauté Xucuru prétendent à la violation du droit à la propriété (art. 21) en conséquence du délai déraisonnable (plus de 16 ans) qui s'est écoulé afin que le processus administratif, de reconnaissance de la propriété de la terre, de la démarcation et de la délimitation du territoire, ainsi que de l'émission formelle du titre, soit complété.

Il est important de noter également que, dans son rapport final remis à la CourIDH le 28 juillet 2015, la CIDH relève que la Constitution du Brésil stipule que les terres ancestrales appartiennent à l'Union fédérale du Brésil, conférant aux peuples autochtones uniquement la possession permanente de la terre et l'usufruit exclusif de ses ressources naturelles. Elle constate également que le titre de propriété émis dans le cas du Peuple Xucuru est conforme à la Constitution brésilienne, indiquant la propriété publique de la terre et la possession permanente du peuple Xucuru. Dans ce même rapport, la CIDH cite la jurisprudence constante de la CourIDH selon laquelle, le droit de propriété privée stipulé à l'article 21 de la CADH, inclut le droit de propriété collective des peuples autochtones et que ce droit ne peut être octroyé par l'État. En effet, elle rappelle que :

« Le droit de propriété collective autochtone trouve son origine dans la culture juridique autochtone et dans les systèmes ancestraux de propriété, indépendamment de sa reconnaissance par l'État; l'origine des droits de propriété des peuples autochtones et tribaux se trouve dans le droit coutumier de possession de la terre qui a traditionnellement existé entre les communautés » (2) (traduction libre).

La CIDH indique toutefois que les pétitionnaires n'ont pas soulevé la question de la portée, ni de la nature du titre de propriété dans leurs allégations et qu'elle ne traitera donc pas de ce sujet.

Dans un second temps, les membres de la communauté Xucuru allèguent le retard déraisonnable de l'État dans l'assainissement (3) total des terres. Il convient d'expliquer ici l'obligation double qui pèse sur l'État lors des processus de restitution des terres ancestrales aux peuples autochtones. L'État a d'abord l'obligation de reconnaître et d'effectuer la délimitation du territoire, puis, l'État a l'obligation de procéder à l'assainissement de la terre en éliminant toutes les interférences qui pourraient affecter les traditions et la culture de ces peuples. A titre d'exemple, il a été discuté lors de l'audience dans le cas du peuple Xucuru, de la présence toujours actuelle sur le territoire Xucuru de six familles non autochtones (environ 30 individus). Les représentants du peuple Xucuru ont allégué qu'aucun consentement n'avait été donné en ce sens et que l'État devait procéder à leur relocalisation immédiate.

L'expert anthropologue, Christian Teófilo Da Silva (4), proposé par le Brésil, est venu témoigner notamment sur le processus de délimitation territorial. Selon lui, les retards accumulés sont le fruit d’une réalité éminemment complexe constituant un défi à relever pour l’État eu égard à la diversité culturelle importante que compte le pays avec 31 communautés autochtones, 270 langues parlées, 562 terres autochtones représentant environ 15 % du territoire brésilien. L'expert considère que la question des territoires ancestraux dépasse le seul cadre de l'analyse juridique et revêt plusieurs dimensions, dont les aspects culturel et anthropologique. Il soutient que malgré de longs délais, le processus jouit d’un certain niveau d’acceptation auprès de la communauté Xucuru. Il indique par ailleurs que le processus mis en place par l'État du Brésil a eu des résultats positifs sur la communauté, ainsi, les garanties de protection à l'intégrité physique des personnes ont été considérablement accrues, la démographie du peuple Xucuru est en constante augmentation et le peuple Xucuru jouit aujourd'hui d'une garantie importante contre le risque de dépossession des terres.

Face aux accusations de retards injustifiés, les représentants de l'État ont repris les arguments de leur expert et ont longuement insisté sur la création du processus de restitution des terres, sur la participation démocratique des peuples autochtones et sur la complexité de la situation du Brésil.

Lors de sa plaidoirie, la CIDH a relevé que la situation complexe à laquelle fait face l'État du Brésil n'a pas de relation avec le retard dans la remise du titre de propriété considérant que la délimitation des terres avait été finalisée dès 1995. En relation avec l'obligation de l'État d'assainir la terre, la CIDH rappelle la jurisprudence de la CourIDH, dans l'affaire Caso Comunidad Garifuna de Punta Piedra y sus miembros vs. Honduras (5) à l'effet que « l'assainissement consiste en un processus dérivé de l'obligation de l'État de retirer tout type d'interférence sur le territoire en question » (6) (traduction libre), incluant la présence de tiers qui empêche l'usage et la jouissance paisible et effective de l'exercice de la propriété collective. Les représentants du peuple Xucuru ont, quant à eux, fait part de l'existence d'une situation conflictuelle sur leur territoire et des menaces persistantes à l'encontre de leur intégrité physique.

Les juges de la CourIDH également ont pu adresser des questions aux parties. A ce moment, le juge Pazmiño Freire s'est adressé à la CIDH, faisant part de sa préoccupation face au délai de 14 ans qui s'est écoulé entre le dépôt de la pétition à la CIDH et le rapport final de celle-ci dans cette affaire. Il a également été demandé aux parties de clarifier le nombre de personnes non autochtones vivant sur le territoire Xucuru, l'état du conflit social actuel, ainsi que la dimension exacte du territoire du peuple Xucuru. En effet, ces éléments ont fait l'objet de descriptions très différentes durant l'audience. Les parties ont été invitées à préciser ces informations dans leurs plaidoiries écrites qui devront être déposées au plus tard le 24 avril 2017.

(1) Notons que le président de la CourIDH, Roberto F. Caldas, de nationalité brésilienne, n'a pu siéger lors de l'audience considérant que son pays est l'une des parties dans cette affaire.

(2) Para. 66 du Rapport sur le fond no 44/15 Caso 12.728 de la CIDH: "El derecho de propiedad comunal indígena se fundamenta asimismo en las culturas jurídicas indígenas, y en sus sistemas ancestrales de propiedad, con independencia del reconocimiento estatal; el origen de los derechos de propiedad de los pueblos indígenas y tribales se encuentra, por ende, en el sistema consuetudinario de tenencia de la tierra que ha existido tradicionalmente entre las comunidades".

(3) En espgnol: "saneamiento".

(4) Membre associé du Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones de Laval (Qc) et professeur à l'Université de Brasilia.

(5) Jugement de la CourIDH du 8 octobre 2015, Caso Comunidad Garifuna de Punta Piedra y sus miembros vs. Honduras. Disponible à:

http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_304_esp.pdf

(6) Jugement de la CourIDH du 8 octobre 2015, Caso Comunidad Garifuna de Punta Piedra y sus miembros vs. Honduras. Para. 181 :"el Tribunal entiende que el saneamiento consiste en un proceso que deriva en la obligación del Estado de remover cualquier tipo de interferencia sobre el territorio en cuestión". Disponible à:

http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_304_esp.pdf